15 décembre 2009

Adieu l'Arme du Train!


Ah! Qu'il était doux le temps où le quartier Dupleix accueillait le premier régiment de l'Arme du Train. «Il y avait un mur de 2.50 mètres de haut tout autour de la caserne. Tous les matins, nous assistions à la levée du drapeau et nous entendions le clairon», se souvient avec nostalgie Mme Bezic, qui vit depuis 25 ans dans l'immeuble. Depuis sa fenêtre, au 3e étage, cette copropriétaire surplombait la place Dupleix. Mère de deux jumeaux, elle a dû, à l'époque, installer un grillage pour que ses deux petits garçons puissent observer les rituels militaires en toute sécurité. «Quand les soldats faisaient du sport, les enfants les regardaient. Ils les appelaient «papa» parce que c'étaient des hommes», raconte-t-elle en riant.

Le 19e escadron puis le 1er régiment de l'Arme du Train s'est installé à cet endroit après la Seconde Guerre mondiale. Créée par Napoléon Ier pour assurer l'approvisionnement en vivres de la Grande Armée, le Train a progressivement étendu ses fonctions au transport de munitions et à l'enlèvement des corps sur les champs de bataille. Elle compte aujourd'hui 10 000 hommes et constitue encore «un acteur logistique incontournable garantissant l'autonomie de l'Armée de terre». Racheté par l'Etat en 1751 pour assurer des revenus à l'Ecole militaire, située à quelques centaines de mètres de là, cet ensemble a servi autrefois de bureaux à l'architecte Jacques-Ange Gabriel, de poudrerie puis de gymnase militaire. Mais en 1989, les hommes en uniforme kaki ont déserté le quartier. La caserne a été vendue un an plus tôt à la Mairie de Paris. Cette dernière l'a partiellement transformée en HLM. Ce qui n'est du goût de Mme Bezic.

D'origine croate, cette quinquagénaire est arrivée en France voilà 35 ans pour apprendre la langue. «Je faisais partie de la première génération de professeurs d'histoire et de sociologie. Je parlais anglais mais ne maîtrisais pas bien le français. En dehors de la Croatie, je me suis dit que je ne pourrais vivre que dans deux pays: en Italie ou en France. L'Italie parce qu'ils ont du punch et ça me convient. La France, pour la beauté de la langue et parce que ça symbolise l'ordre, et c'est bien», explique-t-elle, confortablement installée dans son fauteuil.
La présence des HLM a bouleversé ses habitudes. «Avant, le quartier était extrêmement calme et pittoresque. Il m'est arrivé de laisser ma voiture ouverte sans problèmes. Il n'y avait même pas de digicode à l'entrée de l'immeuble. Mais maintenant, la police vient régulièrement faire des rondes dans le coin. Quand vous sortez le soir, vous voyez des jeunes en train de dealer. Il y a même eu un mort l'année dernière», déplore-t-elle.

Le 18 décembre 2008, en effet, un jeune homme succombait à un coup de couteau suite à une altercation qui a tourné au règlement de compte. Le trafic de drogue et les affrontements entre bandes rivales dans ce quartier sont en effet connus des services de police du XVe arrondissement. Pour Mme Bezic, «il n'y a qu'une dizaine de familles qui posent problème dans ces HLM, pas plus. Quelques années avant cette catastrophe, leurs habitants avaient signé une pétition pour demander l'expulsion de ces gens. Mais le maire du XVe n'y peut rien. C'est la mairie de Paris qui distribue ces logements. Ils pensaient qu'en mettant un petit nombre de familles à problèmes dans un quartier tranquille, ça irait. Mais ce n'est pas le cas,» constate-t-elle.

Ce n'est pourtant pas l'avis du de M. Ragu, directeur de cabinet de la mairie du XVe, qui rappelle que depuis ce meurtre, il n'y a pas eu de «récidives». «Il y a bien quelques incivilités qui peuvent exaspérer certaines personnes, mais ici ce n'est pas une cité. Nous faisons tout pour apaiser les tensions,» assure-t-il. Ainsi, une quinzaine de «correspondants de nuit», des sortes de médiateurs sociaux, couvrent ce territoire chaque soir pour prévenir les actes de violence. Reste que pour M. Ragu, ce «minimum de mixité sociale» entre une population «bourgeoise et militaire» et une population «plutôt pauvre et souvent d'origine étrangère» est essentiel à l'équilibre du quartier.

Aujourd'hui, tout ce qui reste de l'époque de la caserne, ce sont des militaires retraités qui vivent dans les logements environnants. Certains d'entre eux ont même acheté des appartements dans cet immeuble. «Il ne reste plus que leurs veuves dans la plupart des cas», prévient Mme Bezic, en désignant l'immeuble côté rue. Mme Guélaud, au quatrième étage d'en face, en fait partie. A 82 ans, elle a survécu à son mari, un ancien officier. Mais elle affirme qu'un militaire vit encore dans ces murs. Nous partons à sa recherche...

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