19 janvier 2010

Une doyenne passionnée

La réponse de Melle Bigot est sans appel. Non, la doyenne ne souhaite pas nous recevoir. Cette employée d'une grande organisation internationale aujourd'hui à la retraite prétend qu'elle n'a pas le temps de nous parler et que franchement, l'idée d'apparaître sur un blog ne l'intéresse pas.

C'est Mme Guélaud, la voisine du 4e étage côté rue, qui nous a rapporté ses propos. "Vous savez, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour la convaincre", assure-t-elle. Elle marque un temps avant d'ajouter: "C'est vrai que Melle Bigot est installée ici depuis plus longtemps que moi, mais c'est moi la doyenne en âge de cet immeuble!"

Après tout, Mme Guélaud s'est installée ici en 1961, soit une quinzaine d'années après Melle Bigot. Nous décidons donc de pénétrer dans l'univers de cette dame rigolote de 82 ans. Mme Guélaud est veuve. Son mari, un colonel passionné d'histoire, est mort dans les années 1980. Quand ils ont quitté leur campagne en Haute-Marne, elle se souvient encore lui avoir dit: "Je veux bien habiter à Paris, mais seulement en bordure du champ de Mars". Son voeu a été réalisé. Avant la construction des nouveaux immeubles, Mme Guélaud avait même vue sur la tour Eiffel depuis la fenêtre de sa salle de bain. "C'est oublié, on est passés à autre chose maintenant", murmure la vieille dame en feuilletant un album de photographies qu'elle a prises à l'époque.

Pour son défunt mari, commandant de régiment, ce quartier militaire présentait des avantages notoires. "Il se rendait à pied à l'école militaire qui n'est pas loin d'ici, et puis il pouvait se balader en uniforme", explique Mme Guélaud, les yeux plongés dans le passé.

Du passé, elle a fait une passion. Diplômée de l'Ecole du Louvre, elle a dédié beaucoup de son temps au Musée des Arts et des traditions populaires. "Après le décès de mon mari, je travaillais comme bénévole dans ce musée situé près du jardin d'acclimatation. J'étais chargée d'inventaires", explique-t-elle. Elle se lève péniblement et nous invite à la suivre dans la pièce voisine. Nous découvrons une immense bibliothèque. Parmi ces centaines de livres, Mme Guélaud sort trois volumes dont elle est l'auteure. Il s'agit d'ouvrages ethnographiques qu'elle a rédigés à partir de notes laissées par des ethnologues, dont le célèbre Arnold Van Gennep. "Aujourd'hui, je suis un peu en baisse de régime, alors je me suis mise à trier des cartes postales", confie-t-elle en regagnant son fauteuil.

Ces objets, tombés en désuétude face à la concurrence du courriel, ont selon elle une histoire passionnante. Mme Guélaud nous apprend ainsi que c'est en 1903 qu'un décret a permis de séparer le verso de la carte postale en deux parties distinctes: l'une réservée au texte, l'autre à l'adresse du destinataire. "A l'époque, c'était surtout l'illustration au recto qui importait", précise la cartophile. Mais bientôt, Mme Guélaud ne pourra plus s'adonner à ses travaux. Le musée des Arts et des traditions populaires est en passe d'être transféré à Marseille, qui deviendra la capitale européenne de la culture en 2013.

Aussi Mme Guélaud passe-t-elle de plus en plus de temps chez elle. Quand elle ne reçoit pas ses trois enfants, onze petits enfants et neuf arrière-petits-enfants, elle entretient son grand appartement. Et quand le coeur lui en dit, elle prend le bus d'en bas pour aller à l'opéra.


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